Chroniques
Coup de projecteur sur Tënk
Tënk est LA plateforme du cinéma documentaire en streaming. L’occasion du « Mois du film documentaire » nous rappelle à quel point nous avons une chance folle d’avoir accès grâce à la numothèque à ce fonds renouvelé en permanence (6 nouveaux films chaque semaine) et d’une curiosité tous azimuts.
Mais attention : sauf rare exception, chaque film ne sera disponible que 2 mois. Pas un jour de plus. Il ne faut juste pas louper le coche… Et sinon, tant pis : d’autres arriveront !
Je vous propose ici un zoom sur une petite douzaine de films qui m’ont particulièrement plu.
Fondamentales chez Tënk, les sélections « Fragments d’une œuvre » permettent de (re)découvrir des grands auteurs du cinéma documentaire. Actuellement, deux pointures !
Il ne vous reste plus que quelques jours pour profiter de trois courts métrages formidables de Luigi Di Gianni. En collaboration avec la sociologue Annabella Rossi, le réalisateur nous plonge dans la superstition passionnée et brouillonne du sud de l’Italie des années 60. A l’aube de la conversion planétaire au culte de la société de consommation, tous ces gens, invoquant un mélange frénétique de catholicisme et de paganisme, nous semblent être les derniers spécimen d’une société primitive bientôt engloutie. D’un culte l’autre. Photographie et montages puissants, bande son très étudiée, commentaires cliniques et ponctuellement acides, ces trois films démontrent – si besoin est – qu’il peut y avoir du grand cinéma dans le documentaire et la forme brève.
Vous avez un peu plus de temps pour vous jeter sur la sélection autour d’Avi Mograbi. Le réalisateur israélien montre combien la dinguerie de son pays (Pour un seul de mes deux yeux) réussit à alimenter sa propre schizophrénie. Frayant dangereusement avec son propre ennemi (Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon) ou donnant la place au possible repentir d’un assassin (Z 32), l’attachant Avi Mograbi n’en demeure pas moins malicieux, souvent atterré et toujours pertinent. Trois chefs d’œuvre à ne surtout pas rater.
Quoi d’autre ? Deux longs métrages français, qui ont beaucoup fait parler d’eux récemment, sont encore disponibles plusieurs semaines.
D’abord l’étonnant Southern Belle de Nicolas Peduzzi. Portrait édifiant d’une jeune héritière texane (très) riche et (très très) paumée. Contrepied gonflé, un peu à la façon d’un Virgil Vernier dans Andorre, ce film montre à quel point le regard ethnographique peut étendre son champ d’observation là où on ne l’attend pas forcément ! J’adore.
Dans un registre un poil plus attendu, Le temps des forêts de François-Xavier Drouet a connu un certain succès lors de sa sortie en salles il y a trois ans. Ce film nous fait comprendre combien nos forêts sont malheureusement plus le reflet de notre modèle social et économique glouton que le paisible repaire de petits animaux replets et de fougères anarchiques. Instructif.
Allez, encore deux-trois pépites pour la route et je vous laisse.
Tout d’abord deux petits bijoux de courts métrages qui illustrent le potentiel de jeunes réalisateurs contemporains.
Réserve de Gerard Ortín Castellví : série protéiforme de tableaux (jusqu’au son d’un échange téléphonique sur écran noir) symbolisant l’artificialité du rapport de l’homme à la nature et aux animaux. Onirique d’une certaine manière, pourrait-on dire. Néanmoins très explicite dans sa radicalité.
Le Bœuf volé de Papa Lantsky de Thomas Reichlin et Elene Naveriani interroge quelques vieux témoins d’un étonnant fait divers (un vol de vache qui a mal tourné il y a de ça plusieurs dizaines d’années dans un petit village de Géorgie). Un enchaînement de témoignages en plans fixes, entrecoupés de somptueux travellings latéraux en extérieur, où se jouent à merveille les aléas de la mémoire, la construction l’air de rien de la rumeur et le partage souvent très genré, comme on dit, de la parole et de la prudence ! Un régal.
Enfin, vous n’échapperez pas à la mise en ligne récente de Black Harvest, troisième volet de la Trilogie papoue du couple de réalisateurs australiens Bob Connolly et Robin Anderson. Si la manière de faire peut nous rappeler le légendaire Frederik Wiseman, cette somme passionnante pose un regard d’une modernité inaltérée sur l’asservissement des populations des Hautes Terres de Papouasie Nouvelle-Guinée, et sur le colonialisme en général.
Restés à l’écart du reste du monde jusqu’à l’arrivée en 1930 de trois Australiens blancs chercheurs d’or (les frères Leahy), les Papous se voient tiraillés dans les années 90 entre les luttes intestines sanglantes et le miroir aux alouettes de l’économie de marché. Joe Leahy, descendant métisse d’un des fameux frangins, et propriétaire d’une grande plantation de café, incarne cet idéal pernicieux duquel il est compliqué de s’émanciper. S’il n’est pas nécessaire d’avoir vu les deux premiers films (First contact et Joe Leahy's Neighbours, disponibles sur le site de la Médiathèque départementale de l’Isère), voir la trilogie dans son entier apporte indéniablement un plus.
Sélection réalisée par Christophe, Bibliothèque municipale de Varces. Pour consulter ces films rendez-vous sur Tënk en suivant ces indications.
Suivez nous ...