Chroniques
"La Nuit des morts vivants" de George A. Romero

Après s’être recueillis sur la
tombe de leur père, Johnny et Barbara se font attaquer par un homme à
l’apparence étrange à la tombée de la nuit. Constatant avec horreur le meurtre
de son frère, Barbara s’enfuit et trouve refuge dans une petite maison de
campagne où elle trouve d’autres fugitifs. C’est là qu’elle comprend, grâce à
la radio, que des morts viennent s’attaquer aux vivants suite à des retombées
radioactives.
La nuit des morts vivants est depuis sa sortie en 1968 un film
culte. Premier film fauché du jeune George
A. Romero (27 ans), il rapporta énormément d’argent aux producteurs
sans que le réalisateur puisse en profiter.
Il y aurait énormément à dire sur
ce film et des ouvrages
entiers d’universitaires l’ont disséqué. Cependant, on peut mettre en exergue
les éléments qui nous semblent être les plus passionnants à son sujet et qui
confirment son statut intemporel.
Tout d’abord, il est intéressant
de noter que ce film s’émancipe totalement de la tradition créole du zombi,
c’est-à-dire un être humain mort puis ramené à la vie grâce à un rituel vaudou
permettant à d’autres individus de le contrôler afin qu’il devienne leur
esclave.
Romero ne s’intéresse pas à ce
folklore. Le terme de « zombie » n’est d’ailleurs jamais utilisé dans
le film. On parle donc plutôt de morts vivants et ce n’est pas un mince détail.
En effet, cela permet à Romero de se démarquer de ses prédécesseurs à
Hollywood, qui présentaient souvent les êtres maléfiques comme une menace
venant de l’extérieur (extraterrestres, créatures diaboliques etc.). Chez
Romero, les morts vivants sont une menace venant de l’intérieur, résultat des
agissements irréfléchis des humains. Dans ce film, ce sont des retombées
radioactives qui créent ces créatures.
Le film a été réalisé en pleine guerre
du Viêtnam, en 1968, à une époque où seules les menaces extérieures
aux Etats-Unis importaient. On ne compte donc plus les films où les communistes
sont représentés par des extraterrestres.
Cette date est également celle de
l’assassinat de Martin
Luther King en plein mouvement des droits
civiques aux Etats-Unis. Que fait Romero ? Il installe en
figure héroïque mais tout de même ambiguë un personnage noir, Ben (joué par
l’excellent Duane Jones), qui va prendre autoritairement le contrôle de la
maison assiégée, ses collègues blancs étant incapables d’agir et de prendre de
bonnes décisions pour lutter contre les morts vivants. Cela constitue un
véritable choc dans le cinéma américain et mondial, les noirs étant la plupart
du temps cantonnés à des rôles de sous-fifres ou caricaturés.
Véritable huis-clos, l’action se
situant en majeure partie à l’intérieur de la maison, la tension est palpable
à chaque instant et provient autant des personnages principaux – l’héroïsme de
Ben le noir contre la lâcheté et la stupidité des blancs – que des morts
vivants tentant de pénétrer à l’intérieur.
Tourné caméra à l’épaule, de
manière brute et chargé de gros plans, ce film tranche avec les films édulcorés
et maîtrisés du cinéma
hollywoodien. Il est encore impressionnant aujourd’hui de constater
les libertés prises par Romero, notamment pour représenter l’horreur (cadavres
en putréfaction, cannibalisme explicite, nudité des morts vivants…). Il
bouleverse donc les codes esthétiques du fantastique et contribue largement à
lancer le genre du film
d’horreur.
George Romero réalisera d’autres
films représentant des morts vivants, dont le fameux Dawn
of the dead (1978), se situant dans un centre commercial
et considéré comme un chef-d’œuvre. En France, on a maladroitement donné le
titre Zombie au film…
Le choc esthétique de la nuit des
morts vivants, allié à la virulence politique du propos et le nihilisme de la fin,
hallucinante (que nous ne dévoilerons pas !) fait incontestablement de ce
film un jalon majeur dans l’histoire du cinéma mondial, maintes fois imité mais
jamais égalé.
Aujourd’hui, les temps que nous
vivons ne peuvent que nous rappeler de manière lancinante l’avertissement de la
radio dans le film : « Restez chez vous »…
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